La pédagogie différenciée

J'ai eu envie de partager avec vous ce texte, écrit par Franck David lors du séminaire pédagogique d'Angers il y a quelques années. Je trouve qu'il expose de façon claire et imagée les différentes attitudes pédagogiques, et je le lis aux stagiaires au début de chaque cursus BPJEPS pour entamer leur réflexion par rapport aux méthodes pédagogiques qu'ils pourraient employer.

 

 

ET LA TECHNIQUE ?

Et la technique dans tout cela.
On m'a demandé mon point de vue sur le rapport entre la technique et l'animation.


Demander à un entraîneur de dressage de parler de l'animation et de la modernité de la pédagogie, déjà il faut le faire. Tout le Ie monde sait qu'on est les rois de l'animation dans le dressage! Ils l'ont fait exprès ce n'est pas possible.
Parce que c'est bien de parler de pédagogie, mais il ne faudrait pas oublier la technique.


Autrefois les cavaliers étaient quand même meilleurs que de nos jours. C'est vrai qu'on avait appris en tentant de ressembler à nos maîtres. C'est la pédagogie du modèle comme on dit. Les écuyers du cadre noir c'était quand même pas mal non?


Remarquez que ce sont plutôt les grands et minces qui y réussissaient.Il faut reconnaître que la petite dame ronde avait du mal. Et ceux qui voulaient monter sans trop d'ambitions, il fallait qu'ils revoient leurs projets.
Mais c'est certain que dans l'ensemble, les cavaliers d'autrefois étaient meilleurs.
Remarquez, c'est un peu normal, parce que les pas doués ils ne restaient pas longtemps avec le régime qu'on leur servait.
Alors bien sur, ceux qui continuaient c'étaient les plus doués.
C'était la pédagogie de Darwin, vous savez le type qui a inventé la sélection naturelle.Ils s'adaptaient ou ils disparaissaient. Alors forcément les cavaliers étaient meilleurs que de nos jours, il ne restait que les bons, les autres ... ils étaient partis !


Pour nous enseignants, il y a la question de la technique et la question de comment la transmettre.


D'abord la technique ça me fait penser à Monsieur Passouple, Passouple c'est son nom, déjà avec ça il était mal parti dans la vie le pauvre, mais à cheval, c'est vrai qu'il n'était pas aidé.
Alors j'ai bien essayé de l'assouplir, et de lui faire descendre les jambes, et d'avoir du liant. Je lui avais même fait lire « Equitation académique» pour qu'il comprenne.
Au début il y a cru, il montait trois fois par semaine, il était tout rouge chaque fois avec les séances de mise en selle, j'ai vraiment fait ce qu'il taut ... Mais ça n'a pas marché, il avait toujours les jambes en avant, il ne suivait pas son chevai, je iui disais pourtant d'être pius souple, et qu'à ce rythme il allait me casser tous mes chevaux !
Pourtant il était gentil au fond ce monsieur, même qu'au début quand il est arrivé au club il m'avait dit que dans l'équitation, c'est le contact avec la nature qu'il aimait.
Enfin maintenant il est parti, alors le problème ne se pose plus, avec les jeunes qui sont plus doués ça va mieux.


Il y avait aussi madame Sauteau. Pas saute haut, Sauteau. Sauter haut c'était pas son truc, elle avait peur de sauter haut.
D'ailleurs elle ne voulait pas sauter du tout, .. , et son cheval non plus d'ailleurs, alors les deux réunis, je ne vous raconte pas les séances d'obstacle. Oh les gamelles!
Si j 'y avais pensé, quand c'était le jour ou on sautait, elle aurait pu faire autre chose. J'aurais pu lui donner quelques exercices à faire indépendamment des autres, elle aurait été heureuse de travailler toute seule, parce qu'elle aimait bien ça, elle me l'avait dit un jour, j'aurais dû l'écouter, parce qu'elle était gentille au fond madame Sauteau, et elle était toujours prête à rendre service au club, et elle aimait ça monter à cheval. J'aurais du l'écouter.

J'ai lu un livre la dessus, ça parlait d'individualisation, les cavaliers n'étaient pas tous obligés de faire la même chose !
Remarquez c'est vrai que c'est rare qu'ils soient tous pareils, alors si on les laisse faire des exercices différents, chacun s'exerce à son niveau. Les doués ils réussissent et les moins doués aussi. C'est peut-être pas mal quand même. ça s'appelle la pédagogie différenciée je crois.
On en voit beaucoup quand même des cavaliers comme Monsieur Passouple et Madame Sauteau.
Ils veulent monter à cheval et en plus ils veulent se faire plaisir. Alors pour nous, ce n'est pas facile d'enseigner la technique.


Souvent on a tendance à tout confondre, les doués et les moins doués, alors qu'on devrait leur proposer des techniques et des objectifs appropriés pour chacun d'eux.
Les bons chevaux et les bons cavaliers, ça on sait faire, enfin on essaie, et quand on gagne on se dit qu'on sait faire.
Mais l'expérience nous démontre chaque jour qu'avec des chevaux et des cavaliers plus modestes ... c'est plus difficile.
On fait les malins avec nos cavaliers de bon niveau, mais on est moins performant avec les cavaliers pas doués, là on est moins fier, on se fait discret.


Si on leur propose le même programme, c'est la pédagogie vouée à l'échec.
Je pense que lorsque le cavalier ne réussit pas, c'est inutile de le lui reprocher, c'est l'enseignant qui est en échec et doit revoir sa copie, ajuster ses objectifs ou ses consignes.
Mais peut-être devrait on leur trouver des chevaux plus pratiques.
Nous Sommes envahis de ces rebus de l'élevage du cheval de sport, recyclés auprès de cavaliers amateurs bien que totalement inadaptés à leurs objectifs.
On a un projet équestre, on prend un cheval pas du tout adapté, voire carrément handicapé, et on se dit qu'avec du travail on va y arriver.

C'est la pédagogie du masochisme.


Mais ils ne sont pas tous comme ça les cavaliers, je veux dire pas tous masos.
Si je reprends l'exemple du dressage, on peut rechercher des chevaux plus confortables, qui se mettent dans la main facilement, des chevaux adaptés au plaisir. On devrait laisser tomber les grandes aliures et l'amplitude, travailler à l'ancienne. Ils ne seront peut-être pas dans les critères des juges qui cherchent le cheval Olympique, mais ils donneront accès à des bonheurs à la portée du cavalier modeste.


On pourrait peut-être ne pas faire une fixation sur les défauts qu'ils ne peuvent pas changer, sauf pour les masos.
On pourrait peut-être davantage chercher à leur procurer du plaisir, même si on doit revoir à la baisse nos ambitions d'entraîneur.
N'est ce pas souvent notre satisfaction personnelle que l'on recherche dans trop d'exigences envers les cavaliers. Ca c'est la pédagogie de la réussite... de l'enseignant.

On oublie parfois la réussite du cavalier dans cette histoire.
Parce qu'autrefois on pensait que la technique c'était primordial on était plutôt directif : il fallait qu'ils soient tous de bons cavaliers.


Je voulais être un bon enseignant j 'y mettais tout mon coeur pour en faire de bons cavaliers, d'ailleurs ils l'ont prouvé. Mais ils n'étaient pas très nombreux, ce sont les meilleurs qui sont restés, ça doit être la pédagogie de Darwin.
En voulant être bon enseignant n'ai je pas été mauvais faute de m'adapter au niveau et aux capacités de chacun ?
Sur l'autel de la sacro-sainte technique n'avons-nous pas sacrifié la passion de nombreux cavaliers ?


Un jour, en faisant mes comptes j'ai réfléchi. Mes cavaliers étaient bons, mais les comptes l'étaient moins, et les fins de mois étaient rudes. Alors j'ai repensé à Darwin, vous savez la sélection naturelle, la disparition des éléments insuffisamment adaptés. Ca m'a fait froid dans le dos.J'étais bon et pourtant j'allais disparaitre à force de ne fidéliser que les bons cavaliers. C'est la pédagogie de la ruine.


Etait-ce possible d'envisager une pédagogie plus performante pour enseigner la technique?


Comment satisfaire des cavaliers si divers et pour autant ne pas vendre mon âme au diable?
D'abord on peut utiliser différentes méthodes pédagogiques. Alors on n'est pas obligé de prendre une carte d'adepte de l'église. On peut pratiquer toutes les pédagogies sans être hérétique.
En fait l'enseignant doit posséder une bonne caisse à outils et choisir sans cesse le plus adapté à chaque instant. Mais quelques notions incontournables peuvent diriger nos choix.


D'abord on a parlé de plaisir.
Le plaisir je veux bien mais la technique c'est important tout de même.
Retnarquez il faut reconnaître que s'ils font de la technique sans se faire plaisir, ils abandonnent l'équitation, et dans ce cas il n'y a plus de technique du tout, plus de cavaiiers, plus d'enseignants. Encore ia théorie de Darwin.
Alors, premier principe : tout cavalier devra sortir du cours heureux.


On a parlé de pédagogie active et d'individualisation.
Je vois la pédagogie active comme une philosophie dans la façon d'enseigner.
Ca découle de la place qu'on donne aux élèves.
On peut faire primer notre rôle, ou la technique équestre, ou le cavalier.
Ce n'est pas notre réussite ou nos objectifs personnels qui importent. Notre rôle c'est d'apporter aux cavaliers la technique dont ils ont besoin pour accéder à ce qu'ils pourront réaliser.


Selon moi, le bon enseignant c'est celui qui sait créer des situations où chaque cavalier pourra évoluer avec bonheur, en fonction de son niveau et dans le respect de ses objectifs personnels.
Individualiser le travail de chacun facilite la réussite. Je n'ai jamais vu un cours où tous les cavaliers sont pareils, et leurs chevaux n'en parlons pas. Alors si chacun fait des exercices à son niveau, il peut mieux réussir dans sa propre progression technique.


Deuxième principe : Tout cavalier devra sortir du cours avec un progrès technique.
J'en viens maintenant à l'essentiel Je cette question du rapport entre la technique et l'animation.


Le contenu technique n'est pas lié aux choix pédagogiques.
Dans un enseignement il y a la qualite technique qu'on veut bien y mettre, en pédagogie directive comme en pédagogie active.
Si notre enseignement est pauvre en technique, il l'est quelque soit la méthode pédagogique utilisée.
Si l'apport technique est riche, il le sera tout autant avec une pédagogie directive ou active.


La grosse différence c'est que la technique sera mieux intégrée si le cavalier est plus impliqué, si on lui donne les moyens de trouver ses propres solutions dans les situations proposées.
Si chaque cavalier gère ses exercices individuellement s'il développe ses expériences à son niveau, l'évolution technique est forcément meilleure que s'il doit faire exactement comme les autres.
Si d'autre part l'enseignant lui donne des repères ou crée les conditions pour améliorer ses essais dans cette philosophie, le cavalier améliore davantage sa technique et devient plus autonome.


Ne les mettons pas en cage nos cavaliers, laissons les faire leurs expériences.


Après tout, les doués seront toujours aussi bons, peut-être meilleurs même, alors on a pas à craindre pour la qualité de l'équitation.


J'ai un jour vu une affiche pertinente. Elle montrait un jeune qui avait l'air bien dans sa peau et c'était écrit dessous : « faire son bonheur c'est lui apprendre à le construire lui-même ».

C'est peut être ça la philosophie de la pédagogie active,
Et la technique a beaucoup à y gagner.

 

Par Franck DAVID

Commentaires

  • Madoz

    1 Madoz Le 19/11/2013

    Très bon article....le troisième principe...F David nous le propose indirectement : "faire son bonheur c'est lui apprendre à le construire lui-même"....c'est applicable aussi pour les moins jeunes dont je fais partie
    lydie-k

    lydie-k Le 27/03/2014

    Très juste, un enseignant ou un formateur ne devrait jamais oublier ce principe fondamental.

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